Il est admis que juridiquement le statut de « Moresnet-Neutre » était une sorte de condominium avec deux souverains aux pouvoirs absolus en théorie mais se neutralisant souvent l’un l’autre.
En pratique, quand il n’y avait pas d’accord entre les deux souverains, c’est le droit antérieur ( c.à.d. le droit français, dont le Code civil) qui était appliqué à « Moresnet-Neutre »
Comment en est-on arrivé là ?
Après la défaite des armées de NAPOLÉON, en 1815, l'Europe se retrouve réunie au Congrès de Vienne (*) en cherchant à redéfinir ses frontières, notamment celle entre la Prusse et les Pays-Bas.
La Belgique, jusqu'alors possession française, passe aux mains de la Hollande tandis que l'on tente administrativement de définir ses frontières avec la Prusse.
Sur le terrain, les fonctionnaires doivent constater l'inadéquation de leurs plans avec la réalité : un triangle, situé juste au point de rencontre entre les frontières belge, hollandaise et allemande, entraîne un litige entre les parties.
La zone est située entre le village de Moresnet, donné aux Pays-Bas et l'actuel Neu-Moresnet confié à la Prusse.
Après un an de négociations, le problème est réglé par le Traité des Limites (signé à Aix-la-Chapelle le 26 juin 1816), en déclarant Moresnet, comme territoire " neutre " et n'appartenant à personne. Il est régi à la fois par un commissaire de la Prusse et un des Pays-Bas, un arrangement provisoire qui durera 104 ans. Pour les affaires communales, ceux-ci nommaient un bourgmestre, dépositaire unique et exclusif de l'autorité administrative.
Annexe au Traité des Frontières d'Aix-la-Chapelle de 1816.
On reconnaît bien les deux rangées de piquets frontières avec la même numérotation. L'une du coté est et l'autre du coté ouest avec la même numérotation de 188 à 192. Au point nord on retrouve le piquet avec le numéro commun 193.
La rue de Liège forme la frontière sud avec les piquets au numéro 188.
(*) Le congrès de Vienne est une conférence des représentants diplomatiques des grandes puissances européennes qui eut lieu à Vienne du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815. Les pays vainqueurs de Napoléon Ier ainsi que les autres États européens se réunissent pour rédiger et signer les conditions de la paix et donc déterminer les frontières et tenter d'établir un nouvel ordre pacifique.
Sur cette zone se situe le plus important gisement de calamine - le minerai de zinc - connu en Europe et aucun des deux pays ne veut céder à l'autre un territoire aussi riche.
Ainsi est né le Moresnet-Neutre, 256 habitants en 1816, 3,44 km2 de superficie, 11 kilomètres de frontières et une mine de zinc.
Précisons qu'après la révolution belge de 1830, la partie sud du royaume des Pays-Bas se sépara pour devenir l'état indépendant de la Belgique. Et c'est la Belgique qui récupéra les droits d'administration sur le Moresnet-Neutre.
Il survivra jusqu'au Traité de Versailles en 1919 (**), qui confie définitivement Moresnet au royaume de Belgique.
Moresnet-Neutre a vu sa population fortement augmenter. En quatre décennies : de 256 habitants en 1816, elle est passée à 512 habitants en 1842, 761 habitants en 1844, 1.406 habitants en 1852, 1.650 habitants en 1854, et même 2.572 habitants en 1858.
Trois facteurs semblent avoir été pris en compte par la population : "paix, richesse et propriété".
Le premier facteur est l'absence de service militaire. De ce fait, on voit des familles entières déménager afin de faire échapper leurs fils aux obligations de milice. Il faut dire qu'un vent révolutionnaire souffle sur l'Europe et, nombreux sont ceux qui se révoltent contre l'ordre établi alors qu'à Moresnet-Neutre, diverses cultures cohabitent pacifiquement entre eux.
Deuxièmement, le territoire gagne des habitants grâce à l'expansion de la Société des mines et fonderies de zinc de la Vieille-Montagne. Moresnet neutre accueille de nombreux indigents qui n'espèrent qu'une chose, décrocher un travail à la mine. L'entreprise traite particulièrement bien ses ouvriers ; elle n'a point besoin d'un législateur pour faire du social.
Dès 1842, elle crée une caisse d'épargne pour faire fructifier les économies de ses travailleurs. En 1847, elle instaure une caisse de secours et une caisse de prévoyance, toutes deux financées à la fois par elle-même et par les ouvriers.
Ces caisses procurent des soins médicaux et pharmaceutiques aux ouvriers et à leur famille, accordent des indemnités de chômage et de pension, contribuent aux frais d'accouchement et de funérailles, offrent des secours temporaires aux veuves et aux orphelins.
En 1860 une politique de prêt à taux réduit, parfois sans intérêt est instaurée afin d'aider les ouvriers de la Vieille-Montagne à acheter ou construire une maison.
Enfin, le troisième facteur sont les contributions d'État qui demeurent celles de 1816.
Les nouveaux impôts votés en Belgique ou en Prusse ne sont pas d'application sur le territoire neutre ; les héritiers et légataires n'y paient pas de droits de succession.
Les droits de douane ne s'appliquent qu'aux marchandises sortantes.
Mais, décennie après décennie, ces trois facteurs perdent leur attrait.
La Belgique et la Prusse finissent par modifier leur position en matière de service militaire.
L'afflux d'étrangers pèse lourd dans le financement.
Ainsi, en septembre 1859, pas même trois mois après l'entrée en fonction du nouveau bourgmestre Joseph Kohl, celui-ci décide d'établir un impôt sur le revenu. Est-ce à ce moment là que l'idée d'un état indépendant libre a germé dans la tête du Dr. Molly ?
En 1884 : la mine est épuisée.
Le nombre d'ouvriers employés sur le site s'est considérablement réduit.
Culminant à 1.258 en 1857, il ne s'élève plus qu'à 209 en 1886.
Ce territoire neutre attire de nombreuses personnes : Soldats de fortune, demandeurs d'emploi, jeunes hommes qui veulent éviter le service militaire et d'anciennes bonnes, femmes de chambre qui se sont trop rapprochées du fils de la maison. Leur intérêt : Un coût de la vie peu élevé, des divertissements, de l'alcool et toutes les choses dont les gens ont besoin dans une vie sauvage au pied "Altenberg" de Calamine.
PAYS-BAS | PRUSSE |
---|---|
Werner Jacob (1817-1823) Membre député de la ville de Liège. Avocat de l'ancien Duché de Limbourg. |
Wilhelm Hardt (1817-1819) Conseiller privé en matières de mine de zinc. |
Joseph Brandes (1823-1830) Greffier de la ville de Liège. Inspecteur des écoles provinciales de Liège. |
Johann-Martin-Daniel Mayer (1819-1836) Conseiller en matières de mine de zinc. Directeur du service de mine à Düren. |
BELGIQUE | |
Lambert Ernst (1835-1840) Substitut du Procurateur général à la Cour d'Appel à Liège. Originaire d'Aubel. |
Heinrich Martins (1836-1854) Conseiller des mines à la centrale de Bonn. |
Mathieu Cremer (1840-1889) Juge à la cour de 1ere instance de Verviers. Né à la commune de Limburg. |
Amand von Harenne (1854-1866) Sous-préfet d'Eupen. Fils d'avocat liégeois Avocat et bourgmestre de Raeren. Commissaire de police de 1852 à 1854 et devenait ensuite commissaire royal. |
Fernand Bleyfuesz (1889-1914) & (1918-1920) Commissaire d'arrondissement de Verviers, né à Dison. Son fils était le dernier directeur du siége de la Vieille Montagne à La Calamine jusqu'en 1950. |
Freiherr von der Heydt (1866-1868) Sous-Préfet d'Eupen. Fils du ministre Prusse des finances. |
Dr. Bayer (1915) Commissaire impérial de l'arrondissement de Verviers. |
Edward Guelcher (1868-1871) Sous-préfet d'Eupen. Tombé pendant la guerre contre la France de 1870. |
Alfred Theodor Sternickel (1871-1893) Sous-préfet d'Eupen. |
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Alfred Jakob Bernhard Theodor Guelcher (1893-1909) Sous-préfet d'Eupen. |
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Theo Losen (1909-1918) |
Blason de la Vieille Montagne
Drapeau tricolore à barres horizontales datant de 1883
(⚒) La moitié supérieure symbolise l'exploitation historique du zinc dans la région (voir blason Vieille Montagne). La base montre un lion et un aigle qui font référence au statut spécial du territoire. Le lion représente les lions hollandais et belges, l'aigle est l'aigle prussien. Ces armoiries sont très inspirés du cachet de Moresnet-Neutre datant de 1895.
Bien que sur le territoire neutre il n'y a jamais eu de vrai bureau de poste, les habitants n'étaient tout de même pas exclus du trafic postal.
Comme c'était le cas pour plusieurs activités, ils pouvaient se diriger vers les deux cotés de la frontière pour envoyer ou recevoir leur courrier.
Pendant toute la durée de l'indépendance, aussi bien les Prussiens que les Belges ont exécuté les travaux postaux simultanément mais totalement indépendamment l'un de l'autre.
Une lettre envoyée vers la Prusse était pourvue d'un timbre prussien et postée dans un bureau prussien, tandis qu'une lettre vers la Belgique était pourvu d'un timbre belge et posté dans un bureau de poste belge.
Dans les deux cas le tarif national était appliqué.
Pour les envois vers d'autres pays, on pouvait choisir selon le tarif le plus intéressant.
Le bureau de poste belge le plus proche et responsable pour Moresnet belge était à Henri-Chapelle.
Ils envoyaient et distribuaient également le courrier de et vers Moresnet-Neutre, tandis que le bureau de poste allemand le plus proche situé à Herbesthal et responsable pour Moresnet prusse en faisait de même pour Moresnet-Neutre.
Un détail important de la poste du territoire neutre est l'émission par cette administration d'une série de timbres postes d'après l'idée du Docteur Molly, de Monsieur Beaufays et de Monsieur Crickboom.
Ces timbres émis selon le modèle prussien n'étaient destinés qu'au seul courrier local, soit à l'intérieur du territoire neutre.
Cette série de timbres était mise en cours le 5 octobre 1886 et se composait de 8 timbres des valeurs de 1 Pfg, 2 Pfg, 3 Pfg, 4 Pfg, 5 Pfg, 10 Pfg, 20 Pfg et 50 Pfg.
Lorsque le Bourgmestre eut pris connaissance de cette émission de timbres il avertis les deux commissaires.
Comme à Moresnet-Neutre le droit français était toujours d'application selon lequel l'état devait toujours avoir le monopole de la poste, les commissaires ils rédigèrent un décret interdisant la mise en circulation de ces timbres.
Le 19 octobre de la même année, après seulement deux semaines d'existence, ces timbres étaient déclarés non valables et retirés de la circulation.
Aussi bien la poste belge que la poste prussienne n'avaient reconnu la validité de ces timbres poste.
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Comme à Moresnet-Neutre le droit français était toujours d'application, le franc français était la seule monnaie officielle du territoire neutre.
Vu la proximité des deux pays qui avaient la surveillance sur le territoire on comprend que c'étaient ces deux monnaies qui étaient le plus employées avec cependant une majorité de monnaie prusse à cause de la proximité de Moresnet-Prusse.
En 1848 apparaissaient quelques pièces locales.
Bien qu'il ne s'agissait pas de valeur officielle ces monnaies sont décrites dans la "Revue Numismatique Belge" de 1869 ( 5eme série 1869, page 96 à 99).
Le récit de l'histoire de Moresnet-Neutre ne serait pas complet si on n'évoquait pas le légendaire Docteur Molly.
En 1863 le docteur Molly né a Wetzlar en Allemagne venait s'établir à Moresnet-Prusse ( Neu-Moresnet) pour y ouvrir un cabinet médical. Il se faisait vite un nom parmi la population locale parce que, entre autres il soignait ses patients à des tarifs très préférentiels.
Lorsqu'il parvint encore à vaincre une épidémie menaçante de cholera sa popularité monta en flèche et il était désigné comme médecin au service de la Vieille Montagne.
Docteur Wilhelm Molly (1838-1919)
Reçu de la Belgique la "Croix Civique"
La Prusse lui remit "l'Ordre de la Couronne" et l'ordre de "l'Aigle Rouge".
Le Docteur Molly était entre autre le fondateur de la poste éphémère de Moresnet-Neutre.
Ce n'était pas une institution intéressante, mais le fait que le Docteur Molly et ses amis (Messieurs Beaufays et Crickboom) émettaient des timbres postes était un moyen d'exprimer leur désir d'indépendance.
Ils étaient probablement inspirés par les services de poste installés dans plusieurs villes allemandes, mais également par le canular de J.B. Moens. (1)
Lorsque les deux commissaires furent informés par le bourgmestre de cette émission de timbres postaux, ils instauraient une loi interdisant ces timbres en s'appuyant sur une loi française de 1711 qui stipule que l'Etat garde toujours le monopole de la poste.
L'émission de timbres n'est qu'un infime détail par rapport aux essais du Docteur Molly de faire de Moresnet-Neutre un état espérantiste "Amikejo".
En 1906 le Docteur Molly s'était mis en rapport avec le professeur français Gustave Roy.
Ces deux espérantistes acharnés, voulaient absolument établir un état espérantiste.
Et quel territoire se présentait mieux que le territoire neutre pour réaliser ces projets ?
En 1908 ils organisaient une réunion de propagande au Local des Carabiniers (aujourd'hui disparu).
Toute la population y était rassemblée pour entendre des discours en faveur de l'instauration d'un état libre espérantiste "Amikejo" (= lieu de grande amitié).
A l'occasion de cette réunion la fanfare de la Vieille Montagne présentait la marche "Amikejo" composée par Willy Huppermann et qui devait également servir d'hymne national.
Après cette manifestation plusieurs journaux internationaux parlaient de la création possible d'un état espérantiste à Moresnet-Neutre.
Le quatrième congrès espérantiste à Dresde décidait même de préférer Moresnet-Neutre à La Haye (Pays-Bas) comme centrale mondiale de l'esperanto.
Moresnet-Neutre perd sa raison d'être en 1895 avec la fin de l'exploitation de la mine de zinc.
La Prusse tente de reprendre les pourparlers avec la Belgique pour récupérer le territoire, allant même jusqu'à couper l'électricité et saboter les lignes téléphoniques.
Mais la Belgique avait les habitants de son côté et la Première Guerre mondiale débuta.
Dès le 4 août 1914, premier jour des hostilités, le très exposé Territoire perdait sa neutralité en passant sous la tutelle du Kaiser.
Finalement, en 1919, dans l'article 32 du Traité de Versailles (**), l'Allemagne reconnaît la souveraineté absolue de la Belgique sur le territoire de Moresnet-Neutre qui est attribuée définitivement à l'autorité du roi des Belges.